Pôles, le magazine par Grand Nord Grand Large

Le passage du Nord-Ouest avec Lucas Humbert

Banafshe Habibnia-Arson
Le passage du Nord-Ouest avec Lucas Humbert

Le passage du Nord-Ouest désigne un passage maritime reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique à travers un labyrinthe de terre, d’eau et de glace dans le Grand Nord canadien. Lucas Humbert, guide Grand Nord Grand Large, l’a franchi deux fois et nous raconte son expérience.

La recherche d’un passage reliant le Pacifique à l’Atlantique a fasciné bon nombre d’explorateurs au cours de l’histoire, peux-tu nous expliquer pourquoi ?

La recherche de ce fameux passage a motivé nombre d’Empires coloniaux occidentaux, au départ pour trouver une route vers l’Asie et une voie commerciale plus courte (c’est toujours la principale motivation et les motifs de revendication aujourd’hui !). On peut dire que l’Empire britannique a été pionnier dans cette quête, ponctuée par l’histoire dramatique de l’expédition Franklin. Mais Cook, Ross, entre autres, avaient précédé notre homme ! Les nombreuses expéditions envoyées ensuite à la recherche de l’expédition Franklin (on peut citer Bellot notamment pour les Français) ont grandement contribué également à la connaissance, découverte, et cartographie du passage du Nord-Ouest. C’est ainsi que, lorsque Amundsen a réussi son entreprise en 1906, une grande partie du passage avait déjà été en partie naviguée...

Le passage du Nord-Ouest est aujourd’hui mythique, même s’il n’est praticable que quelques mois dans l’année. Dans quelles conditions la traversée s’effectue-t-elle ?

La couverture de glace diminuant notamment en raison du changement climatique, cette route historique est aujourd’hui navigable tous les étés durant 1 à 2 mois. Il existe plusieurs routes à travers ce dédale d’îles et de chenaux. Le passage du Nord-Ouest officiel longe au plus près les côtes nord canadiennes puis américaines. Parfois, il faut emprunter au contraire la "voie nord" car les conditions de glace évoluent très vite. Aujourd’hui, tous les instruments de bord, la cartographie, les sonars et radars permettent de faciliter la navigation. On prend vraiment conscience de la difficulté de l’entreprise quand on replace la découverte du passage dans le contexte de l’époque, avec les moyens du moment… Tout simplement ahurissant !

Passage du Nord-Ouest, Labrador, Canada - ©Roger Pimenta

Quels sont les points d’intérêt historiques et naturels de la croisière Grand Nord Grand Large sur les traces de l’expédition Franklin ?

Selon moi, on peut vraiment diviser ce voyage en trois parties distinctes :

– La première partie est rythmée par la navigation à travers le dédale d’îles et de détroits de l’archipel nord canadien (Nunavut). Ici, le poids de l’histoire est bien présent et on sent bien les difficultés qu’ont pu rencontrer Franklin et toutes les expéditions parties à sa recherche. L’île Beechey, avec le mémorial Franklin et le monument en l’honneur du Français Josef-René Bellot, est des plus émouvantes. Les 5 tombes alignées sur la plage de l’île Beechey dans ce monde de désolation sont impressionnantes ! Le détroit de Bellot est également un endroit superbe et très scénique ! Tout le cadre naturel de cette première partie est somptueux, la côte est très découpée, assez montagneuse et les glaciers encore présents ! Contrastes garantis dans certaines baies si l’on a la chance de pouvoir approcher l’île d’Ellesmère. La sortie de l’archipel canadien par l’île Victoria et l’ïle de Banks est vraiment marquée par l’isolement de ce désert polaire…

– La deuxième partie s’étend entre la sortie de l’archipel nord canadien et le détroit de Béring. On rentre dans la mer de Beaufort, on peut rencontrer la baleine bleue et d’autres espèces de cétacés, mais la côte est plus linéaire, moins variée. Les navires d’expédition y passent bien sûr moins de temps et le temps de navigation est plus important !

– Enfin, la troisième partie commence avec le détroit de Béring qui a toujours été pour moi un endroit fascinant. Les deux îles Diomède au milieu du détroit sont séparées par la frontière entre les USA et la Russie. Elle marquait ce que l’on a appelé pendant la Guerre Froide le rideau de glace. Celle de droite (sens de navigation), n’est occupée que par les militaires russes. Sur celle de gauche, on trouve une petite communauté inuit dont les conditions de vie et le dénuement m’impressionnent toujours. Ces deux îles sont également séparées par la ligne de changement de date : suivant qu’on navigue à droite ou à gauche, on est aujourd’hui ou demain… Ce détroit de Béring marque également une frontière biologique! C’est également par le détroit de Béring, lorsqu’il se traversait à pied sec à la fin de la dernière grande glaciation, qu’ont migré toutes les populations mongoloïdes (inuits, amérindiens), les animaux (camélidés, mammouth laineux…), et aussi des plantes (thuya entre autres !). Ce détroit de Béring est aujourd’hui un corridor qui permet à de nombreux cétacés, oiseaux et autres de venir s’alimenter l’été autour de l’océan glacial arctique.

La faune observable... Passage du Nord-Ouest - ©Rob Stimpson

Quels animaux peut-on espérer observer dans cette région du monde ?

Bien sûr le premier à nous venir à l’esprit est l’ours polaire ! Inféodé à la banquise car son plat principal est le phoque, on le trouve de plus en plus à terre à cause du changement climatique et de la fonte de la banquise. Pour les croisières d’expédition et leurs guides, il a également fallu apprivoiser ce passage du Nord-Ouest et trouver au fur et à mesure des recherches, des lectures, des observations et des expériences, les endroits présentant un intérêt pour la faune. Nous sommes aujourd’hui capables d’identifier les zones où l’on est susceptibles de trouver des narvals, des bélugas, des morses entre autres… Il m’est arrivé de faire des observations incroyables de milliers de ces espèces au fond de certaines baies ! Sur les îles, on peut observer le bœuf musqué ou le loup polaire sur l’île de Banks. Plus commun, le renard polaire est bien sûr présent, souvent au pieds des falaises où viennent s’installer des milliers d’oiseaux (guillemots, goélands, mouettes).

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